Tu m'aimes ?
Elle avance la main vers son bras et délicatement du bout du doigt elle redessine le contour de son tatouage.
Tu m'aimes dis ?
Ce symbole tribal noir lui semble toujours aussi étrange, elle essaie de percer son mystère en caressant sa peau.
Elle cherche, tel un chamane, la vibration qui pourrait lui ouvrir la porte de son âme.
Dis-moi que tu m'aimes !
Elle sourit en posant ses lèvres humides prêtes à offrir un baiser. Le contact sur son bras le fait frissonner. Elle sent ce long frisson traverser sa bouche, elle passe les bras autour de son cou et lui susurre de nouveau à l'oreille :
Tu m'aimes ?
Elle le sent rougir, il reste toujours silencieux à ce petit jeu agaçant. Pourquoi toujours ce besoin de poser des mots ? Malgré sa certitude de son amour pour elle, ce besoin de confirmation verbale la taraude.
Allez ! Dis le moi !
C'est si bon de s'entendre dire des mots doux, elle vieillit et pourtant cette soif de minauderie ne se tarie jamais. Les nombreuses années de mariage n'y font rien, elle se sent toujours comme une adolescente transie lorsqu ‘elle regarde son époux. Elle a tant d'amour pour lui ! Le quotidien, les soucis, les peines, n'ont pas réussit à égratigner ses sentiments.
Tu m'aimes ?
Elle rit devant l'air sérieux qu'il affiche, lui si jovial. Ses taquineries le mettent toujours aussi mal à l'aise. Contre vents et marées, il s'obstine à lui cacher ses soucis, son mal être, fier de ne pas lui faire subir ses problèmes, gardant pour lui tous ce qui pourrait la contrarier. Elle aimerait tant partager avec lui, la douleur qu'elle voit passer sur son visage, parfois, furtivement.
Je sais que tu m'aimes, dis-le moi !
Elle frotte le nez sur son cou, enfouie son visage et s'enivre de son odeur. Il ne répondra pas, il ne répond jamais ! Mais elle connaît l'issue de ce doux harcèlement. Une onde de plaisir la submerge, ils sont seuls dans la maison, leur fils ne reviendra pas avant la fin de l'après-midi et elle se sent d'humeur coquine.
Vas-tu me le dire enfin ?
Elle rit à gorge déployée et plonge son regard dans ses yeux verts. Il est si beau ! Combien de fois a -t-elle tremblé de le perdre sous le regard insistant de femmes qui les croisaient. A l'approche de la quarantaine, les traits de son visage s'affermissent et cette beauté mature la fait chavirer. Sa présence, son charme, séduit tous ceux et toutes celles qui l'approchent. Elle se sent fière et à la fois si jalouse.
Tu m'aimes comment ?
Il l'écarte de lui avec douceur, mets les mains sur ses épaules, et la regarde. Elle sent sa chaleur la pénétrer, délicieux vertige, la tête lui tourne et comme dans un brouillard, elle fixe ses lèvres qui s'entrouvrent. C'est comme dans un film désynchronisé, ses lèvres s'agitent, les mots se forment et le son semble décalé...
Je t'aime, oui, mais pas tous les jours !
Le Vésuve ! Pourquoi d'un seul coup l'image du Vésuve lui vient-elle à l'esprit ? Vieux souvenir de leur dernier voyage en Italie. Un guide au fort accent, passionné par son sujet, leur faisant partager l'émotion de l'instant T de l'éruption volcanique dévastatrice. Les images d'horreur et de panique défilent dans sa tête, encore plus réelle qu'au pied de cette terrible montagne. Les cris, les hurlements, les gens qui courent, s'appellent, se cherchent dans la grisaille des cendres,les pierres enflammées. Ceux qui restent paralysés par la peur, ceux qui tombent à genoux sur le sol, dans une ultime génuflexion implorant le ciel. Ce chien qui aboie contre les éléments, cette femme qui sert son bébé dans ses bras, l'air hagard, ne sachant plus si elle doit fuir ou pleurer.
La température de la chambre a soudainement monté, la couleur des murs semble virer au rouge, une vague gigantesque de lave en fusion la menace, tel un tsunami.
Silence, obscurité.
Elle se sent secouer violement par les épaules. Elle fixe les pores de la peau des mains, des bras, du visage qu'elle croyait connaître. Ce regard vert, autrefois si doux, la transperce.
Pourquoi a-t-elle soudainement si froid...